mercredi 26 mars 2014

Jolie chose de la semaine .....

'La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules' - Philippe Delerm 

[morceaux choisis]

Le paquet de gâteaux du dimanche matin:

Des gâteaux séparés, bien sûr. Une religieuse au café, un paris-brest, deux tartes aux fraises, un millefeuille. A part pour un ou deux, on sait déjà à qui chacun est destiné - mais quel sera celui-en-supplément-pour-les-gourmands ? On égrène les noms sans hâte. De l'autre côté du comptoir, la vendeuse, la pince à gâteaux à la main, plonge avec soumission vers vos désirs; elle ne manifeste même pas d'impatience quand elle doit changer de carton - le mille-feuille ne tient pas. C'est important ce carton plat, carré, aux bords arrondis, relevés. Il va constituer le socle solide d'un édifice fragile, au destin menacé.
- Ce sera tout !
Alors la vendeuse engloutit le carton plat dans une pyramide de papier rose, bientôt nouée d'un ruban brun. Pendant l'échange de monnaie, on tient le paquet par en dessous, mais dès la porte du magasin franchie, on le saisit par la ficelle, et on l'écarte un peu du corps. C'est ainsi. Les gâteaux du dimanche sont à porter comme on tient une pendule. Sourcier des rites minuscules, on avance sans arrogance, ni fausse modestie. cette espèce de componction, de sérieux de roi mage, n'est-ce pas ridicule ? Mais non. Si les trottoirs dominicaux ont goût de flânerie, la pyramide suspendue y est pour quelque chose - autant que çà et là quelques poireaux dépassant d'un cabas. 
Paquet de gâteaux à la main, on a la silhouette du professeur Tournesol - celle qu'il faut pour saluer l'effervescence d'après messe et les bouffées de P.M.U, de café, de tabac. Petits dimanches de famille, petits dimanche d'autrefois, petits dimanches d'aujourd'hui, le temps balance en encensoir au bout d'une ficelle brune. Un peu de crème pâtissière a fait juste une tache en haut de la religieuse au café.


On pourrait presque manger dehors :

C'est le "presque" qui compte, et le conditionnel. Sur le coup, ça semble une folie. On est tout juste au début de mars, la semaine n'a été que pluie, vent et giboulées. Et puis voilà. Depuis le matin , le soleil est venu avec une intensité mate, une force tranquille. Le repas de midi est prêt, la table mise. Mais même à l'intérieur, tout est changé. La fenêtre entrouverte, la rumeur du dehors , quelque chose de léger qui flotte.

"On pourrait presque manger dehors ". La phrase vient toujours au même instant. Juste avant de passer à table, quand il semble qu'il est trop tard pour bousculer le temps, quand les crudités sont déjà posées sur la nappe. Trop tard? L'avenir sera ce que vous en ferez. La folie vous poussera peut-être à vous précipiter dehors, à passer un coup de chiffon fièvreux sur la table de jardin, à proposer des pull-overs, à canaliser l'aide que chacun déploie avec un enjouement maladroit, des déplacements contradictoires. Ou bien vous vous résignerez à déjeuner au chaud - les chaises sont bien trop mouillées , l'herbe si haute...

Mais peu importe. Ce qui compte , c'est le moment de la petite phrase. On pourrait presque... C'est bon la vie au conditionnel, comme autrefois, dans les jeux enfantins: " On aurait dit que tu serais..." Une vie inventée , qui prend à contre-pied les certitudes. Une vie presque : à portée de la main , cette fraîcheur. Une fantaisie modeste , vouée à la dégustation transposée des rites domestiques. Un petit vent de folie sage qui change tout sans rien changer...

Parfois , on dit : " On aurait presque pu..." Là , c'est la phrase triste des adultes qui n'ont gardé en équilibre sur la boîte de Pandore que la nostalgie. Mais il y a des jours où l'on cueille le jour au moment flottant des possibles , au moment fragile d'une hésitation honnête , sans orienter à l'avance le fléau de la balance. Il y a des jours où l'on pourrait presque.


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[Le bonheur n'est pas une quête interminable, c'est un choix de vie]



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